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POURQUOI LA SEINE-SAINT-DENIS CONTINUE-T-ELLE À S'ENLISER ?

Dernière mise à jour : 16 oct. 2022



La Seine-Saint-Denis : paradoxes et handicaps


Une population jeune et dynamique en constante progression mais...


Malgré une population de 1,6 millions d’habitants jeune et dynamique et qui sait souvent entreprendre, la Seine-Saint-Denis reste enlisée dans la pauvreté, dans la violence avec le taux de criminalité le plus élevé de France métropolitaine, le repli communautaire, le chômage et les défaillances de l’école publique.


La population progresse puisque la Seine-Saint-Denis possède le taux de fécondité le plus élevé de France métropolitaine dû à la forte proportion d’immigrés dans le département, venus de pays où la fécondité est plus élevée traditionnellement. Rappelons que la Seine-Saint-Denis est une terre ancienne et traditionnelle d’immigration. Par ailleurs, la répartition géographique des immigrés dans le département est assez hétérogène : on compte beaucoup plus d’immigrés à l’ouest du département qu’à l’est.


Une économie dynamique mais...


Même si le département participe pleinement à la création de richesses avec un grand nombre de sièges sociaux (SNCF, Véolia, SFR, Generali, BNP Paribas…) et la création de nombreuses start-ups et s’il est situé au cœur de la région la plus riche de France, lui reste pauvre. Car si depuis 20 ans, de nombreuses entreprises privées du secteur tertiaire sont venus s’installer dans le département avec à la clé des créations d’emploi, celles-ci sont loin de profiter à tous les Séquano-Dionysiens. En effet, les employeurs locaux sont souvent contraints de recourir à une main d’œuvre externe au département faute de trouver les qualifications nécessaires en Seine-Saint-Denis. À l’inverse la population locale doit aller travailler ailleurs dans les métiers précaires et mal payés fournis par les départements voisins.


Une pauvreté qui progresse en Seine-Saint-Denis


La population du 93 s’est profondément transformée, passant des ouvriers de la banlieue rouge, travaillant en usines, aux travailleurs pauvres et déconsidérés qui se déplacent sur l’ensemble de la métropole, pour la faire fonctionner. Ces travailleurs sont souvent maintenus dans des activités peu valorisantes et mal payées : maintenance, sécurité, transports et logistique. et toutes les formes d’une ubérisation subie, choisie par défaut.



Le renouvellement trop important de la population des pauvres remplacés par encore plus pauvres qu’eux, creuse la paupérisation et empêche l’accès à la classe moyenne. Près de 30% de la population est pauvre en Seine-Saint-Denis.



Pire, la pauvreté progresse fortement en Seine-Saint-Denis et la misère s’y installe durablement. Ce sont les jeunes en particulier qui en souffrent le plus. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Ainsi l’exemple d’Aubervilliers : la 2ème commune la plus pauvre de France, compte 60% de ses habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté. J’ai vécu plus de 5 ans là-bas, dans les années 90 et j’ai vu le changement s'opérer avec les ouvriers d’origine espagnole et italienne partir pour être remplacés par une population bien plus pauvre et souvent au chômage et/ou en situation irrégulière. Je revois les 4 Chemins des années 90 où j’ai travaillé quelques années. Aujourd’hui le quartier est méconnaissable, livré aux trafics en tous genres, à la misère la plus sordide.



Plus d’un tiers de logements sociaux en Seine-Saint-Denis


Près de 35% des logements en Seine-Saint-Denis sont des logements sociaux, contre 20% dans les Yvelines par exemple et sur un territoire bien plus petit avec une superficie de 236 km2 et bien plus densément peuplé. Malgré ce chiffre élevé l’offre de logements social est très insuffisant ! Quand je pars en reportage photo, j’ai toujours une barre HLM sous les yeux, une « résidence » où je ne voudrais pas vivre. C’est dramatique pour l’image et l’attractivité d’un département déjà perçu comme un vaste ghetto.



Alors, certains élus du 93 réclament que les Hauts-de-Seine accueillent aussi les plus démunis à travers la construction de logements sociaux. Rappelons que les ghettos de riches et de pauvres se font face dans le Grand Paris, les inégalités entre l’ouest et l’Est parisien relèvent presque de la caricature. À ce propos, faites cette petite expérience, prenez le tramway entre La Défense et Saint-Denis : vous êtes certain qu’il s’agit du même pays ?


Le 93 : département le plus criminogène de France métropolitaine



Malgré la mise en place de Zones de sécurité prioritaires la population continue à ressentir et à vivre dans l’insécurité. Dire que l’image de la police et de la justice est dégradée est un doux euphémisme. Quand je photographie la Seine-Saint-Denis, je me demande parfois où est passée la police, non qu’elle me manque mais tout de même… Et puis il y a ce que je lis sur les murs ou sur les réseaux sociaux ou ce que j’entends en passant dans les quartiers. Dans tous ces quartiers, lorsque je discute avec ceux qui me demandent pourquoi je photographie leur quartier, il y deux sentiments qui ressortent : la police fait mal son métier (violence ou indifférence) et la justice est trop laxiste avec les délinquants ce qui entraîne un sentiment d’impunité chez eux. Et alors, le sentiment d’insécurité se transforme en véritable insécurité. Et pourtant il y a une véritable demande « sécuritaire » dans ces quartiers souvent livrés au trafic de drogue où la présence policière est jugée « insuffisante ».

Une population instable et sans cesse remplacée


Quand on vit dans le 93, on ne pense souvent qu’à le quitter. Moi j’y suis resté, je travaille depuis toujours dans le département. Mais beaucoup de mes amis sont partis depuis longtemps, trop sale, trop de bruit, trop d’insécurité, trop de monde, trop de tout. L’un d’entre eux m’a affirmé en quittant la Seine-Saint-Denis vouloir vivre dans un département « normal ». Et je dois avouer que je ne sais pas si je finirai mes jours en Seine-Saint-Denis, tant je ne reconnais plus le département de mon enfance, celui où mes parents étaient venus du Loir et cher en 1973 pour trouver une vie meilleure dans le Drancy post industriel et communiste.





Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’État a fait de ce département une sorte d’antichambre de l’insertion et une réserve de petites mains de l’agglomération parisienne, cantonnées dans des boulots précaires, mal payés et déconsidérés. Le niveau de vie en Seine-Saint-Denis est le plus faible de France. Ce n’est plus qu’un réservoir de travailleurs pauvres utilisables et corvéables à merci par le Grand Paris Ouest mondialisé et triomphant.


Toutefois, ces problèmes du département ne concernent pas toutes ses zones géographiques. Les difficultés les plus importantes s’observent à l’Ouest de la Seine-Saint-Denis cumulant forte densité d’habitants et de logement sociaux, tandis que l’Est moins densément peuplé avec ses zones pavillonnaires est dans une situation économique et sociale comparable au reste du pays.



Un peu d’histoire : comment en est-on arrivé là ?


Dans les années 50 Paris commence à exclure une population modeste de l’Est de la capitale, qui « émigre » dans le territoire voisin. C’est le temps d’un 93 industriel et ouvrier où le Parti communiste est omniprésent. Mais la désindustrialisation commence sur fond d’opposition entre une droite gaulliste et une gauche communiste. Cette désindustrialisation va plonger le département dans une crise sociale et économique complexe qui dure encore aujourd’hui. La Seine-Saint-Denis n’a pas vraiment récupérée de la perte de ses industries contrairement aux Hauts-de-Seine qui à l’époque ne sont pas si éloignés sociologiquement de la Seine-Saint-Denis, avec ses usines en particulier. Mais tandis que les élus du 92 vont favoriser les transitions économiques, c’est la construction de logements sociaux qui se développera en Seine-Saint-Denis dessinant les contours d’un Grand Paris économiquement et socialement fracturé. Peut-on parler de partage politique entre la droite et la gauche pour expliquer la ségrégation territoriale subie par le 93 ? Je crois que oui.





Dès les années 80 les classes moyennes commencent à quitter les cités où il faisait bon vivre dans les années 60 et 70. Les 30 Glorieuses le sont de moins en moins et la pauvreté s’installe. Le niveau éducatif s’effondre et les entreprises ne peuvent plus recruter en l’absence de travailleurs locaux suffisamment formés pour répondre à l’offre. Parallèlement le département demeure une terre traditionnelle d’immigration.


Puis viennent s’ajouter la délinquance liée à une économie « souterraine », le décrochage scolaire, le logement livré aux mains des « marchands de sommeil », l’explosion de la structure familiale traditionnelle (famille mono-parentale) et l’État qui se désintéresse de ce qui s’y passe.


La rénovation urbaine et les zones d’éducation prioritaire ne changeront rien. Un processus inéluctable est en marche : une vaste poche de violence, d’exclusion et de paupérisation apparaît au coeur d’une des régions les plus riches d’Europe.





Depuis, le département a été l’objet de l’attention de l’État qui a déployé toutes sortes de politiques de la ville, avec pour objectif de réduire les écarts de développement entre les quartiers et d’y améliorer les conditions de vie. Des dispositifs prioritaires et diverses expérimentations ne sont pas parvenus à contenir la pauvreté ni la violence ni le sentiment d’exclusion vécue par une population toujours plus jeune et nombreuse. L’État ne prendra jamais la mesure du problème en refusant de mettre les moyens, en particulier dans les domaines de la sécurité, de la justice et surtout de l’éducation.





J’avais 17 ans au début des années 80, lycéen à Eugène Delacroix au Blanc-Mesnil, je me souvient encore des 35 élèves par classe déjà, d’enseignants déjà démobilisés, face à une population d’élèves majoritairement décrocheuse déjà. Je crois qu’on ne mesure pas assez les ravages liés au manque d’attention de la part de l’État sur ces questions fondamentales d’éducation . Où sont les pôles d’excellence qui existent ailleurs ? Quand l’État va-t-il se décider à prendre la mesure du problème et à investir dans sa jeunesse et dans son avenir ?



L’échec de la Seine-Saint-Denis est en réalité celui de l’État


Mais le problème c’est avant tout une incapacité de l’État et des acteurs publics en général à concevoir une réponse stratégique d’ampleur et novatrice. Cherche État stratège désespérément.


L’État méconnaît les réalités du département tout en restant déficient sur la gestion de ses ressources humaines. Où sont les projets et les grandes perspectives ? L’État et ses bras cassés semblent démunis face à un département qu’il ne comprennent pas, car ils ne s’y intéressent pas vraiment.





Selon un rapport parlementaire paru en 2018, l’État ne connaît ni le nombre exact d’habitants en Seine-Saint-Denis ni le territoire où ils vivent. L’administration ignore le nombre de personnes en situation irrégulière dans le département ! Les chiffres évoqués font le grand écart entre 150 000 à 500 000 ! Pire il ne sait pas quel est le niveau scolaire des élèves, ne sait pas mesurer le niveau de la délinquance et les montants générés par l’économie souterraine, drogue et marchands de sommeil par exemple.


Alors difficile dans ces conditions de mettre en place des politiques publiques cohérentes et chiffrées. Et puis l’État gère très mal ses agents déconcentrés, en particulier sur le plan des ressources humaines avec des inadéquations entre des besoins méconnus ou ignorés et les moyens très souvent insuffisants (personnels peu nombreux, inexpérimentés et instables) , notamment en matière de justice. Une frontière infranchissable sépare l’État centralisé et ses agents sur le terrain. Dans ces conditions, L’État peine à conduire son action publique.


L’image du département (pauvre, violent, islamisé) n’est pas sans conséquence : processus de ségrégation très actif dans et autour du 93, méfiance de la part des recruteurs face aux jeunes du « 9-3 » et peur viscérale de l’immigré. Mais aussi et surtout pour les habitants du département un fort sentiment de rejet et d’exclusion de la part d’un pays qui les tolère mais ne les accepte pas, malgré des discours lénifiants sur la chance de l’immigration pour la France de la part de ceux qui bien souvent sont en partie responsables de cet apartheid qui ne dit pas son nom.


Les politiques de la ville n’on pas empêché le 93 d’être classé parmi les meilleurs élèves des territoires perdus de la République et pourtant la Seine-Saint-Denis a fait l’objet d’investissements massifs en matière de rénovation urbaine, de développement de l’activité économique ou d’éducation scolaire.



Ce qu’il faudrait faire pour sortir la Seine-Saint-Denis de l'échec



La Seine-Saint-Denis devrait se transformer profondément d’ici 2040 avec le développement de la Métropole du Grand Paris qui devrait permettre une forte augmentation du PIB régional.


Mais pour que la Seine-Saint-Denis en profite et décolle enfin il faudra :


- que l’État connaisse de façon beaucoup plus fine la sociologie du département afin de mettre en place des politiques pertinentes en matière de financement des politiques économiques et de logement ;




- qu’il revoit sa copie concernant la gestion de ses ressources humaines en matière d’éducation avec des enseignants expérimentés, plus nombreux et mieux rémunérés afin de les maintenir en poste plus longtemps là où on en a besoin. L’échec scolaire pèse lourdement sur la future employabilité des jeunes du département et donc leur insertion. Il s’agit de l’enjeu majeur pour la Seine-Saint-Denis au moment où la citoyenneté des jeunes semble se construire plus sur les réseaux sociaux qu’à l’école;

- Construire le Grand Paris express c’est bien, rénover les immeubles bien sûr mais il ne faudrait pas que l’État en oubli d’investir dans l’humain;





- une vraie politique pour la sécurité et la justice et ne pas changer de préfet tous les 4 ou 5 ans afin de garantir l’action de l’État dans un projet long et construit en commun avec tous les acteurs locaux et avec de véritables moyens humains et matériels;


- que les pouvoirs publics soutiennent d’avantage les créateurs d’entreprise et dans le numérique en particulier avec un accompagnement sur le long terme;


- que les acteurs locaux publics et privés travaillent ensemble, notamment en matière d’éducation et de formations vraiment qualifiantes avec des financements à la hauteur des enjeux, pour corriger l’échec des politiques publiques dans le domaine de l’emploi;

- en finir avec la politique des contrats de ville trop ciblés sur certains quartiers, ce qui ne favorise pas l’esprit « projets communs », en misant trop sur une approche micro-territoriale et de court terme, car souvent mise en oeuvre par des acteurs « contractuels », aux objectifs contractualisés à court terme.




- Cesser de faire peser trop lourdement le financement du RSA sur le 93, ce qui ne permet pas à ce dernier de financer d’avantage ses politiques d’insertion alors que c’est absolument vital pour lui.



Pour conclure, je voudrais vraiment insister sur l’urgence qu’il y a engager le grand chantier de l’école, de l’éducation et de la formation en Seine-Saint-Denis. Il en va de l’avenir non seulement du département mais aussi de tout une région. Pourra t-on accepter encore longtemps que plus d’un million de pauvres se masse aux portes de la ville lumière ? Hors c’est par l’école que l’on permettra à des centaines de milliers de jeunes d’accéder à une vraie citoyenneté pour ensuite être en capacité d’accéder à de vraies formations ouvrant les portes d’une véritable intégration par le travail et l’insertion. C’est comme cela que ce département sortira de sa misère et retrouvera sa dignité.




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