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Photo du rédacteurjean-francois Naturel

LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART ?

Dernière mise à jour : 9 oct.

L’art photographique : un peu d’histoire


Vivant d’abord dans l’ombre de la peinture, art ancien et respecté, la photographie a été longtemps perçue comme une simple industrie. En effet, si dès sa naissance certains considèrent que la photographie est un art à part entière d’autres n’y voient qu’un vulgaire procédé industriel, un simple métier, voire une pratique d’imposteurs autoproclamés artistes, en aucun cas comparables aux peintres par exemple.





En réalité, la reconnaissance de la photographie en tant qu’art est relativement récente et ce n’est qu’à partir du mouvement surréaliste qu’elle fera une entrée timide dans le monde de l’art avec Man Ray. Mais c’est surtout avec les années 70, quelle fera l’objet de théorisations et légitimations philosophiques et esthétiques et qu’on la verra s’exposer dans les plus grands musées, intégrer des collections prestigieuses et devenir peu à peu l’objet d’une spéculation, certaines photos atteignent alors des prix records, signe d’une certaine consécration pour une forme d’art encore méprisée il y a peu.


Définition de l’art photographique


D'abord qu’est-ce que l’art en général ?


La définition que j’ai le plus souvent rencontrée (Merriam Webster dictionary par exemple) est la suivante : l’art est l’utilisation consciente d’un certain nombre de techniques au service d’une imagination créative dans le but de produire un ou des objets esthétiques. L’art est donc une démarche intellectuelle, voire une volonté de véhiculer un message mais sans oublier de produire du beau ou en tous cas de l’esthétique qui soit acceptable par le plus grand nombre, un art consensuel construit autour de la notion du beau. Bref l’art serait une sorte de science du beau.




On pourrait débattre à l’infini sur l’art et sa définition, mais on retrouve toujours dans les tentatives de définition les notions de créativité, de talent, de maîtrise de techniques et de respect des règles de l’art (artisanat), pour tenter de produire une œuvre qui soit validée comme artistique par celui qui l’observera plus tard.



Ensuite qu’est-ce que l’art photographique ?


La photographie : industrie numérique pour les masses


Si des millions d’images sont produites chaque jour et déferlent sur nos écrans, seule, une partie infime présente un intérêt artistique face aux milliards de photographies produites par des millions de presse-boutons. Sur les réseaux on dit « great » , on like et c’est le pouce qui donne son avis, qui pense. Ce flot d’images nous a retiré notre libre arbitre et notre faculté de juger. On confond l’art avec le beau dans le meilleur des cas mais surtout la photographie semble redevenir ce qu’elle était à sa naissance, un simple outil, une industrie de masse.


La photographie est un art véritable


Selon moi, la photographie ne peut pas être réduite à une simple discipline, une technique ou encore un pur hobby. La photographie est un art où technique et vision personnelle sont indissociables. Bien sûr, toutes les photographies ne sont pas des oeuvres d’art et tous les photographes ne sont pas des artistes, de même que tous les peintres ne sont pas des artistes. Mais lorsque la photographie relève d’une démarche consciente pour que l’oeil devienne vision et qu’il y a de la part du photographe une intention délibérée de construire, de penser une photographie et pas simplement d’appuyer sur un bouton pour garder un souvenir, alors on peut parler d’art photographique. La photographie artistique n’est pas là uniquement pour témoigner mais pour interpréter, même de façon classique la réalité telle que l’oeil la voit.


La photographie n’est pas réductible un acte mécanique, celui de la prise de vue. La photographie artistique est le produit d’un dialogue à trois : appareil photo, sujet photographié et l’interprétation qu’en fait le photographe.



La photographie est l’art de regarder la réalité autrement mais c’est surtout l’art de transmettre une interprétation personnelle, une lecture individuelle et partisane de la réalité. Pour moi le photographe-artiste, doit interpréter ce qu’il voit et non pas consigner la réalité brute, c’est en cela qu’il fabriquera une oeuvre d’art et pas simplement une jolie photographie. On ne peut pas faire une photo artistique, ou une série artistique sans passion et sans parti pris. Elle est le produit d’une personnalité particulière et pas seulement d’un technicien habile.


L’art photographique consiste à sublimer l’ordinaire


Même en photographiant la plus banale réalité, même en photographiant une énième fois Paris et les bords de Seine et même si on peut avoir le sentiment que tout a déjà été photographié et par des artistes qui sont entrés dans les musées, on peut, par son regard personnel accéder, même modestement à la belle histoire artistique du médium photographique. Un cadrage atypique, l’utilisation particulière d’une lumière particulière, le jeu avec les ombres et les formes ou encore la perspective, l’intention derrière l’oeil, un recadrage fin en post-production, un effet adapté et/ou audacieux peuvent faire naître quelque chose d’unique de vraiment artistique ou en tous cas esthétique.


Mais c’est aussi à celui qui regarde de dire si c’est de l’art ou simplement quelque chose de joli ou de sympa.




Fine Art versus série photographique


Aujourd’hui quand on parle de photographie d’art on pense plutôt au terme « Fine Art » . Le fine art c’est l’art que l’on peut accrocher dans son salon parce que ça va bien avec la peinture ou le canapé. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas de l’art, cela veut dire que l’esthétique de l’image prend le dessus sur l’interprétation du sujet par le photographe. C’est beau, c’est « seulement » beau. Il ne faut pas chercher de vision, de message dans la photo joliment encadré sous verre ou dans sa caisse américaine. C’est un élément du salon ou du hall d’entrée et rien de plus, choisi pour ses pures qualités esthétiques, correspondant au sens du beau pour l’acquéreur. Le Fine Art, s’il n’est pas de l’art peut toutefois être créé par un artiste, celui-ci ayant délibérément choisi de faire une photographie agréable à regarder (ce qui n’est déjà pas si mal). La frontière est parfois ténue entre les deux. Rappelons qu’une photographie peut être belle sans être de l’art, de même que l’art n’est pas forcément beau.

Avec la série photographique au contraire, la photographie est bien plus qu’une simple affaire de technique. Elle n’est pas réductible à la recherche du beau. C’est une démarche affichée, très personnelle de faire quelque chose de potentiellement artistique. C’est une construction intellectuelle. L’aspect obsessionnel de l’artiste transparait surtout à travers ses séries artistiques. Ici le photographe essaie de faire passer un message et sa vision des choses. C’est là que le spectateur pourra discerner une intention du photographe et pas simplement le coup de chance que celui-ci peut avoir eu sur une seule image. Avec ces petits serials corpus il se révèle à lui-même et révèle aux autres quelque chose d’unique, vision ou sujet. Il n’y a d’art que si le photographe veut montrer bien plus qu'il ne voit et sublimer la réalité banale.


La fiscalité et le dollar comme consécration de l’art photographique


La fiscalité au secours de l’art photographique


Aujourd’hui l’art est indissociable de l’idée de commerce. Le photographe d’art n’échappe pas à la tentation de vendre son travail d’artiste et c’est parfois même son revenu principal. Il est sur les réseaux sociaux, il possède son propre site. C’est est un commerçant qui fait du marketing . Ce n’est pas une honte, c’est un fait.





En tous cas, la photographie est bien un art au sens fiscal et juridique du terme. Sur le plan de la fiscalité, le code Général des Impôts nous propose en effet une définition qui a le mérite de la simplicité : « Sont considérées comme œuvres d’art des photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». Qu’elles soient sur support papier ou digital, elles doivent être signées, comme un peintre qui signe son tableau, c’est un gage d’authenticité. En outre, elles doivent être numérotées si elles sont destinées à la vente en trente exemplaires maximum. La photographie d’art est rare à défaut d’être unique à l’heure du copier-coller et du reproductible à l’infini et c’est la « rareté » qui fait le prix.



Ainsi nous avons quelques éléments pour définir une photographie d’art : la photographie d’art est une œuvre personnelle produite en petit nombre dont l’authenticité est garantie par une signature.


Mais un numéro Siret ne garantit pas que vous avez affaire à un artiste. Un photographe de mariage n’est jamais un artiste, c’est un artisan qui est souvent compétent et qui fait de jolies images. Présentés souvent comme des photos journalistes, ils se copient entre eux et ne font pas d’oeuvres uniques. Le photographe spécialisé dans la photo de bébé est certes un professionnel, mais il répond aux commandes de parents qui ont vu d’autres photos de bébé prises par d’autres photographes et veulent la même chose que les autres. Ils ne demandent rien d’original et encore moins d’unique.


Le dollar comme consécration ultime de la photographie en tant qu'art


S’il fallait une preuve supplémentaire que la photographie est bien un art, c’est les prix qui parfois s’envolent et le nombre sans cesse croissant de collectionneurs et de musées qui se constituent des collections au même titre qu’ils achètent tableaux et sculptures. La photographie est devenue respectable. On peut investir dans la photographie, comme en peinture. Ainsi la photographie semble avoir quitté définitivement son statut de technique industrielle ou d’activité de loisir pour être l’objet de spéculations juteuses.



Regardez les prix atteints par certaines photographies : plus de 600 000 dollars pour Robert Mapplethorpe, (Andy Warhol), plus de 1 million de dollars pour Edward Weston (Nautilus), 1 200 000 pour Richard Prince et son Untitled (Cowboy) , 3 300 000 pour Andreas Gursky, 99 Cent II Diptychon et près de 4 millions pour Cindy Sherman, (Untitled #96)… Et oui la qualité d’un art s’apprécie et se mesure aussi par l’argent dépensé sur les marchés de l’art contemporain.



Pour terminer voici une citation que je trouve juste et magnifique, elle est de Marcel Proust :


« La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque, quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus ».


J’ajouterais qui n’existent pas encore oui qui n’ont même jamais existé.







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