Qu’est-ce qui rend une photo vraiment artistique ?
- jean-francois Naturel

- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Introduction
À l’heure où des milliards d’images circulent chaque jour, une question demeure essentielle: qu’est-ce qui distingue une photographie artistique d’une simple image ? En quoi une photo est originale, ou en tous cas, sort du lot des photographies trop formatées qui circulent partout ? Pourquoi certaines photos nous touchent-elles ou suscitent notre intérêt, tandis que d’autres restent invisibles et ne provoquent qu'indifférence ?
Comprendre la valeur artistique d'une photographie revient à explorer trois dimensions :
le regard du photographe,
l’intention artistique,
la réception par le spectateur.

En tant que photographe-auteur, cette question guide ma démarche : révéler, même dans les sujets les plus modestes, ce que l’œil ne voit pas, et faire que l'ordinaire soit moins ordinaire dans une perspective artistique.
I. Le regard : la source de l’originalité photographique
1. Voir autrement : la base de toute photographie originale
Aujourd’hui, tout le monde sait faire une image “belle” ou "sympa". Faire une jolie photo est à la portée de tous. Et avec les smartphones tout est rendu plus facile et plus immédiat.
Mais une photographie originale naît d’autre chose : un regard singulier, qui se traduira par une composition inhabituelle, l'utilisation particulière de la lumière ou encore par la capacité du photographe à exprimer quelque chose qui n'existe pas matériellement dans l'image. L'aptitude du photographe-auteur à créer une atmosphère spéciale joue aussi beaucoup sur l'impression laissée par la photo proposée au regard.
Dans mes séries sur l’architecture et l’urbanisme, je cherche précisément cela : faire émerger la poésie de l’ordinaire, les formes minimalistes disséminées dans la ville, sur un mur, une porte ou encore dans le détail d'une automobile ancienne. Pour moi, il n'y a pas de petit sujet en photographie.
2. L’œil du photographe-auteur
Si en tant que photographe-auteur je conserve un regard documentaire sur le monde qui m'entoure, j'interprète plus que je n'illustre. Je me considère comme un témoin subjectif des choses urbaines.
Ce n’est pas le sujet qui fait l’œuvre, mais le regard qui le transforme. Celui-ci est une manière particulière de regarder le monde qui mélange attention, sensibilité et exigence, qui transfigure une réalité banale en une photographie plus artistique. Le photographe-auteur révèle par son regard une réalité alternative plus séduisante.

II. L’intention artistique : ce qui transforme une photo en œuvre
1. L’intention comme moteur de la valeur artistique
Une photographie peut être techniquement irréprochable tout en restant vide. L'image est jolie, et même belle parfois mais elle n'exprime rien d'autre que des qualités techniques, qu'elles viennent du photographe ou du matériel qu'il utilise.
À l’inverse, une image simple peut devenir une photographie d’art si elle exprime une intention claire.
L’intention c’est :
un point de vue sur une réalité parfois banale ou sous-jacente, sans forcément tout expliquer avec un concept compliqué,
une sensibilité propre au photographe, et c'est pourquoi on parle d'un photographe-auteur et pas d'un simple technicien aussi compétent soit-il,
une question posée au spectateur et une invitation à observer en orientant son regard,
un "message" visuel.
2. La cohérence dans le travail en série
Dans mon travail, qu’il soit minimaliste ou centré sur les formes bruts de la ville, l’intention revient toujours : créer des espaces visuels calmes dans un monde saturé d'images et qui invitent à une forme de réflexion contemplative.
Une photographie artistique se reconnaît aussi à son inscription dans un ensemble cohérent. Car, si une photo vivante doit se suffire à elle-même et exister de manière autonome, elle fait aussi partie d’une histoire visuelle, encore plus narrative à travers la série photographique. Je ne conçois pas mon travail en dehors d'un storytelling visuel. Je suis un grand lecteur et je pense mes séries photographiques comme des petits romans visuels.
III. La réception : quand une photographie touche réellement un spectateur
1. Pourquoi certaines images nous émeuvent
Une photographie devient une œuvre d’art lorsqu’elle résonne avec celui qui la regarde et qu'un dialogue s'instaure entre la photographie et celui qui prend de son temps pour la contempler.
Trois raisons principales expliquent cette vibration :
Elle ravive une mémoire ou une sensation intérieure.
Elle laisse de l’espace au spectateur : elle n’impose pas, elle suggère et lui laisse une liberté d'interpréter et de s'approprier l'image.
Elle propose une vision singulière, non standardisée.
Une photo minimaliste peut bouleverser autant — voire plus — qu’une scène spectaculaire, en révélant ce que l'on ne voit pas et en proposant une autre réalité, plus poétique que celle qui nous entoure.

2. La photographie comme trace
On reconnaît souvent une photographie d'art à ceci : elle ne s’efface pas complètement de la mémoire. Et je ne parle pas simplement de persistance rétinienne.
Elle laisse une impression durable, même diffuse. Il y a quelque chose de littéraire dans la photographie et certaines de mes images essaient d'être des madeleines de Proust visuelles pour le spectateur.

IV. La matérialité : le tirage d'art comme affirmation artistique
1. Du fichier au tirage : un changement radical
Avec le tirage fine art, une photographie cesse d’être un simple fichier numérique, pour acquérir un statut beaucoup plus noble, celui d'objet d'art qui aura été choisi par l'acquéreur, qui aura su percevoir et apprécier l'intention artistique dessinée par le photographe avec lequel il aura pu échanger.
Le choix du papier, du format ou de l’encadrement joue un rôle essentiel dans la perception artistique de la photographie. En effet, les matières, le papier utilisé et la signature apposée par le photographe-auteur, qui garantit une édition limitée à quelques exemplaires de sa photographie, font que l'acquéreur ou le collectionneur disposera d'une œuvre unique en édition très limitée, 9 exemplaires dans mon cas tous formats confondus.

2. Le tirage comme signature du photographe-auteur
Le tirage fine art affirme une intention : celle de donner à l’image une existence durable, une présence physique et amicale, une densité réelle qui fera partie de la vie de celui qui l'aura acquise.
C’est un geste artistique à part entière, à la fois du photographe et de celui qui aura su en percevoir ou en apprécier la valeur.
V. Le rôle du photographe-auteur : vision, cohérence, démarche
1. Le style comme marque d’auteur
Être photographe-auteur implique :
un style identifiable, et c'est le plus difficile pour un photographe ;
une sensibilité propre,
un rapport personnel au réel.
Le style n’est pas un effet : c’est une manière unique et originale de percevoir le monde même le plus quotidien.
2. La démarche comme source de valeur artistique
La valeur artistique d'une photographie se mesure aussi à ceci : est-elle issue d’une recherche et d'une intention de la part du photographe ?
Dans mes projets sur le Grand Paris, sur les lignes urbaines ou sur le minimalisme architectural et même sur les voitures anciennes, je cherche à créer une vision du monde plus contemplative, plus attentive, plus silencieuse. J'essaie de révéler une réalité que notre œil saturé d'images ne perçoit plus. Je veux donner à voir, ou à revoir ce que l'on ne voit plus et rendre l'ordinaire moins quotidien et plus artistique.

C’est dans cette fidélité à un regard que se construit la valeur artistique d’une œuvre.
VI. Comment reconnaître une photographie artistique ?
1. Une cohérence visuelle interne
Lumière, cadre, composition : rien n’est laissé au hasard. Le grand photographe Ernst Haas a eu cette phrase dont j'ai fait mon credo : « Vous ne prenez pas une photo, vous la faîtes ». En effet, il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton pour donner de la valeur à une photographie. C'est l'intention du photographe-auteur qui sera déterminante pour faire d'une simple photo un objet d'art à part entière.
2. Une vision du monde
Même discrète, elle est là : une manière unique d’habiter le réel et de proposer au spectateur une réalité alternative plus séduisante et personnelle.
3. Une émotion sensible
Une photographie artistique ne cherche pas forcément à impressionner : elle touche en faisant vibrer quelque chose dans l’œil et le cœur du spectateur qui lui aura donner envie d'acquérir un tirage, un objet précieux qui sort des standards de la simple beauté.

4. Une trace mémorielle
Une vraie photographie demeure. Même après avoir quitté les yeux, elle continue d’exister quelque part dans les archives de notre esprit et de notre cœur.
Conclusion : L’originalité n’est pas un effet, mais un regard
L’originalité en photographie ne réside ni dans l’innovation technique ni dans la recherche d’un effet spectaculaire. Elle se construit à travers :
un regard singulier,
une intention artistique,
une rencontre sensible.
La valeur artistique d’une photographie est donc moins une question de règles techniques qu’une question de présence et d'intention.
Elle naît lorsque le photographe offre au monde une manière unique d’être vu — et que le spectateur, à son tour, se reconnaît dans cette vision.

































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